Les 1231 critiques de Thierry Bellefroid sur Bd Paradisio...

Entretiens avec Edmond Baudoin par Thierry Bellefroid
« Entretiens avec Edmond Baudoin », par Philippe Sohet, aux éditions Mosquito.

Récemment, quelqu'un me demandait quel était l'auteur de BD pour lequel j'avais le plus d'admiration. Sans réfléchir, un nom s'est imposé, un seul : Edmond Baudoin. Perplexité de mon interlocuteur. Il n'avait visiblement jamais entendu parler de mon auteur de bandes dessinées fétiche. Baudoin est en dehors du circuit commercial et le restera. Mais il n'est pas pour autant ce que l'on peut appeler un auteur « underground ». Il suit simplement sa voie. Ou plutôt son chemin, pour reprendre cette image qui traverse toute son oeuvre et dont il use tant et plus dans ces entretiens. Baudoin est un artiste, un vrai. La première chose que j'ai remarquée chez lui, c'est un trait, son trait. Ces dessins incroyablement simples que le pinceau compose à même la feuille, sans crayonné. A près de soixante ans, Baudoin est aussi un auteur en recherche perpétuelle. Il ne se contente ni d'une oeuvre prolifique (et dispersée) ni d'une pensée unique. Il cherche. Il interroge. Il nous interroge. Et surtout il nous émeut. Parce que Baudoin, ce n'est pas que ce trait extraordinaire qui m'a fasciné dès la première fois que je l'ai vu. C'est aussi -c'est surtout- un homme qui a mal aux hommes. Ecorché vif mais désespérément accroché à l'amour et à l'art comme à une planche de salut. Tout cela, je le savais ou peut-être je le sentais avant de lire ce livre d'entretiens. Car Baudoin se raconte dans ses BD et dans les livres auxquels il collabore comme illustrateur. Mais je ne me doutais pas un instant de la surprise qui allait être la mienne à la lecture de cette interview d'un peu plus d'une centaine de pages. Philippe Sohet fait preuve à la fois d'une connaissance encyclopédique de l'oeuvre du Niçois et d'une sensibilité indispensable pour entrer dans son univers. Résultat : Baudoin se raconte, avec une incroyable humilité, une sincérité sans doute encore plus grande que dans ses livres. Et il ne parle pas que de lui. Il parle des hommes et des femmes qui l'ont marqué -Pasolini, Le Clézio, Vargas, Giacometti, Tahar Ben Jelloun, Jean Genet, Kamel Kélif, Picasso, Nietzsche et tant d'autres. Il parle du monde autour de lui -l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, la violence, Vitrolles, Nice, Villars, Cuba, Beyrouth et l'Egypte. Il parle du corps, de la danse, de sa mère. (... « elle ne se souvenait plus que de trois airs et quand je les chantais, son oeil s'illuminait un peu (...) Là, vaguement, elle parvenait encore à frapper dans ses mains, à faire comme font les idiots ; il y avait quelque chose qui remuait en elle et c'était extraordinaire ! Naturellement, je chialais : je chantais, je riais. »)
La lecture de cet ouvrage ne peut laisser personne indifférent. Et si vous n'avez jamais lu une BD d'Edmond Baudoin, vous ne pourrez qu'avoir envie d'aller en acheter une après cette « confession » à la fois grave, sensible, émerveillée et douloureuse. Une confession qui vous fera entrer dans la musique intérieure d'un des auteurs les plus complets que la BD ait connus ces trente dernières années. Baudoin, ou l'éloge de la fragilité. Baudoin, ou l'homme que la courbe d'un chemin peut bouleverser. Baudoin, cet artiste qui a un coeur en forme d'encrier.
« Les cosmonautes du futur, le retour ». Par Larcenet et Trondheim. Dans la collection Poisson Pilote chez Dargaud.

Rien à dire, c'est du grand art. Le premier album était déjà d'une étonnante justesse de ton et d'un humour délicieux. Le second est tout simplement encore meilleur ! Bon, on croit qu'on ne nous aura plus ; on le sait, maintenant, que Gildas et Martina sont les seuls humains entourés de robots. Et pourtant, Larcenet et Trondheim nous retournent encore une fois comme une crêpe au gré d'un récit plein de fantaisie, d'humour potache et de rebondissements. Les trouvailles se succèdent à un tel rythme qu'on ne sait jamais ce que nous réserve la case suivante. C'est totalement jouissif et la lecture de l'album s'apparente plus à une plongée en apnée dans le cerveau fou de deux créateurs de délire qu'à la simple lecture d'une BD. Il y a des moments vraiment géniaux, comme la course-poursuite en vaisseau qui passe par le musée des Mawissiens puis par le métro avant de s'achever bêtement contre un réverbère. Il y a ce langage de cour de gosses qu'on avait déjà tant aimé dans le premier album (la première page avec la scène de la corde et la deuxième avec l'entrée en scène du professeur Vatter donnent le ton). Il y a cette tendresse parfois inattendue et tellement bien observée (quand Gildas sauve son emmerdeuse de soeur qui n'est pourtant qu'un robot). Bref, tous ces ingrédients de la comédie humaine croqués avec un humour généreux qui font de ces cosmonautes du futur un pur régal.
Le fusil dans l'eau (Jeremiah) par Thierry Bellefroid
« Le fusil dans l'eau », une aventure de Jeremiah, par Hermann, dans la collection « Repérages » des éditions Dupuis.

Bon, d'accord, Esra nous manque et ce ne sont pas deux motos qui nous la feront oublier. Mais en dehors de ça, il faut bien admettre que Jeremiah a connu de moins bonnes aventures. « Le fusil dans l'eau » est l'un des meilleurs albums de ces dernières années et prouve qu'on peut en être au tome 22 et ne pas s'essouffler (à méditer par certains, ça...). Hermann -que l'on sait infatigable travailleur et intéressé par le défi technique que peuvent lui amener ses nouvelles histoires- a de toute évidence eu envie d'autre chose. Il a opté pour le bayou et nous a concocté un récit faussement classique dans une famille bien glauque sur fond de marais nauséabond. Un secret convoité par des inconnus postés à proximité de la maison où se sont réfugiés Jer' et Kurdy, un secret qui sème la zizanie au sein même de leur famille d'accueil composée d'une galerie de portraits peu banale... un secret en forme de petit tas de billets verts, on s'en doute... et le tour est joué. Avec des ingrédients finalement assez simples, Hermann vous construit une ambiance à couper au couteau de boucherie, des atmosphères visuelles exceptionnelles (ce vert couleur malachite dans les marais, qu'on trouve un peu partout dans l'album mais que les pages 4 et 41 magnifient encore plus que les autres...), une tension exacerbée par des caractères forts et caricaturaux mais pourtant crédibles, une petite fille rousse qui louche, une grand mère nymphomane et imbibée... on ne s'ennuie pas à la lecture du « fusil dans l'eau ». On aurait plutôt envie de dire : « respect, Monsieur Hermann. Respect ».
« Kid Korrigan, Le physique de l'emploi » par Corbeyran et Lejonc. Chez Delcourt.

Difficile de savoir si cet album va trouver son public. Guy Delcourt a pris un risque sur ce coup-là (même si le nom de Corbeyran devrait suffire à attirer la curiosité de certains lecteurs inconditionnels du scénariste bordelais) mais on ne le lui reprochera pas. Avec Kid Korrigan, Eric Corbeyran boucle quelque part la boucle de son univers enfantin (Les Soupetard ou Sales Mioches) même s'il ne s'agit pas ici de BD pour enfants. Mais c'est dans la même partie de son imaginaire que le scénariste a puisé l'inspiration. A l'opposé du « Chant des Stryges », il a décapé ses idées à l'extrême, cherchant à toucher dans la simplicité. En sont sorties des histoires d'une planche proches de l'aphorisme et de la réflexion philosophique. Kid Korrigan est donc tout sauf un héros de BD. C'est un petit lutin qui converse avec un son ami dragon et se propose de nous faire sourire tout en nous faisant réfléchir. C'est délicieux, frais. Il n'y pas un mot de trop, c'est spirituel et chaque page ménage la surprise. Mais ne limitons pas le propos au scénario. Régis Lejonc a sa part de responsabilité dans la réussite de l'entreprise. Son dessin épuré et le recours aux seules couleurs proches du brun et de l'ocre assurent une cohérence et une efficacité aux « gags » (le mot ne convient pas tout à fait) imaginés par son comparse. On retrouve la stylisation et le trais épais que Régis Lejonc avait déjà développés dans l'une des deux histoires dessinées sur une adaptation de Corbeyran pour le collectif « Paroles de taulards » mais il y a ici un véritable travail de création d'univers et de recherche de simplicité qui font mouche. On espère que le public récompensera ce joli travail de duettistes.
« Arrêtez le carrelage », une aventure du Poulpe, par Patrick Raynal et Joe G. Pinelli. Chez 6 Pieds Sous Terre.

« Pour avoir le droit de poser son cul dans une Triumph, faut en connaître les entrailles à fond. Etre capable de diagnostiquer chacune des invraisemblables pannes...de tomber le moteur sur le bord de la route, et... après avoir rangé les pièces sur un grand mouchoir blanc, de le remonter tout en laissant assez de jeu pour que la mécanique vive librement. Tout en éliminant les vibrations intempestives. » Voilà le genre de phrases qu'on trouve au détour des pages du Poulpe. Ou encore « ce pays est trop beau, c'est sûrement qu'on lui veut du mal ». Faut-il encore présenter le Poulpe, succès incontestable de la littérature dont les éditions 6 Pieds Sous Terre ont entrepris l'adaptation en BD avec déjà 6 albums confiés à des tandems (ou trios) différents à chaque fois ? Cette fois, Raynal et Pinelli emmènent Gabriel Lecouvreur dit Le Poulpe en Bretagne. Il y a du vent sur la lande et des embruns le long des côtes, ça sent le petit village de pierre oublié pendant l'hiver et les goélands qui tournoient dans les nuages. Pinelli traduit exactement cette ambiance faussement bucolique qui convient au récit noir (comme la nuit dans laquelle le dessinateur aime tant se perdre), un récit lui-même moins important que les relations humaines dans lesquelles il plonge les protagonistes. Pinelli a en outre eu la chance de travailler avec l'un des pères spirituels du Poulpe (que Jean-Bernard Pouy a créé et qui a connu depuis 150 romans sous des plumes plus ou moins connues). Patrcik Raynal, auteur de romans noirs depuis vingt ans et directeur de la Série Noire de Gallimard depuis dix, connaît la musique sur le bout des doigts. Et ça se sent !
Un petit coin de paradis par Thierry Bellefroid
« Un petit coin de paradis » par Le Brun et Yeb, Comix N°19 des éditions du Cycliste.

Un très beau récit de 24 pages en noir et blanc qui nous prouve que ces auteurs sont prêts pour « le grand saut ». Le dessin de Le Brun est soigné et tourmenté à la fois. L'univers de Yeb lui fournit l'occasion d'en montrer l'étendue. Un homme émerge d'un étang, il est accueilli par son nounours qui l'entraîne dans une drôle de masure, genre maison hantée. Dedans, Franck, le héros, retrouve tous ceux qui ont compté dans sa vie. Et sous les yeux de Bolino -le nounours-, il règle quelques comptes avec son passé. Ce récit initiatique et onirique à la fois semble nous proposer une vision très personnelle du « paradis » (ou de l'enfer ? , se demanderont certains) On s'aperçoit à la fin qu'il était plus subtil que ça.
Sinatra par Thierry Bellefroid
« Sinatra » par Igort. Chez Amok.

Igor Tuveri sort de l'anonymat à la toute fin des années 70. Pendant la décennie qui suit, il collabore à de nombreux magazines avant de se tourner vers le marché japonais (il travaille pour Kodansha milieu des années 90) et la peinture. Le voilà qui réapparaît avec une BD d'une beauté stupéfiante, premier volet d'une trilogie noire en bichromie. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'Igort est là où on ne l'attendait pas ! Ce polar sombre dans lequel le héros opère une descente aux enfers proche du suicide pour tourner le dos à la solitude doit beaucoup à un traitement graphique absolument exceptionnel. Difficile d'ouvrir ce livre et de ne pas craquer. La bichromie basée sur l'utilisation du bleu ciel et du noir est à la fois surprenante et totalement maîtrisée. Il y a des pages qui exercent une véritable fascination sur le regard (dans les chapitres trois et cinq, surtout) à tel point qu'il faut prévoir deux lectures de cet album. La première n'épuise pas la force d'évocation du dessin. D'autant que la narration s'exprime aussi à travers un texte bien écrit et une mise en page très originale. Le lecteur en a donc pour son argent et explore sur les traces d'Igort des thèmes à la fois intimistes, graves, difficiles à traiter. Sinatra est un très bel album. C'est aussi une démonstration de ce qu'un grand dessinateur peut faire avec un mélange de lavis traditionnel, de pastel et de marqueur noir et du bleu. Remarquable !
Bijoux de Famille par Thierry Bellefroid
« Les bijoux de famille » par Papazoglakis et Witko. Aux Requins Marteaux.

Nikola Witko doit être un fan de cinéma. Ses « bijoux de famille » doivent beaucoup à des réalisateurs comme Tarentino. Mais il va encore plus loin qu'eux. Aidé par le dessin semi-réaliste de Christian Papazoglakis, il campe une bande de fous furieux qui ne respectent rien ni personne. Au départ de l'album, un joli casse perpétré par quatre malfrats déguisés en Simpsons. Les quatre types embarquent un beau paquet de diamants et décident de fêter ça en se défonçant à qui mieux mieux. Sur la route, ils embarquent une auto-stoppeuse (forcément nymphomane) et tout ce petit monde continue de sniffer tant qu'il peut jusqu'au lendemain matin. Mais au réveil, dans la salle de bains du motel, la belle auto-stoppeuse gît, du sang plein les cuisses... et les bijoux ont disparu. S'en suit une joyeuse partie de « si c'est pas toi ni moi, c'est forcément lui » où tout le monde soupçonne tout le monde. Dans cette descente aux enfers où tout est permis, même et surtout les coups sous la ceinture, personne n'est épargné. Et tout ça pour des diams qu'un lecteur avisé aura tôt fait de localiser ! Pour amateurs de road-movies violents et déjantés.
Premiers Pas (Inspecteur Moroni) par Thierry Bellefroid
« Premiers pas », une aventure de l'inspecteur Moroni, par Guy Delisle, dans la collection Poisson Pilote des éditions Dargaud.

En un an d'existence, Poisson Pilote n'a déjà plus rien à prouver. A part un dispensable « Venezia » (et encore, c'est surtout en regard des autres albums de la collection qu'il est dispensable), rien à jeter. Et certainement pas cet inspecteur Moroni. Ceux qui ont lu « Shenzhen » à L'Asso ne seront pas nécessairement étonnés de retrouver Guy Delisle dans cet exercice. L'humour tout en auto-dérision qu'il déployait dans son journal de bord d'un Français en Chine se retrouve à l'état plus travaillé dans ce faux polar. Moroni est un héros taillé sur mesure pour la collection Poisson Pilote. Parce qu'il parle avec son chien (qui lui répond, oui, madame). Parce qu'il est névrosé. A côté de ses pompes. Sous Lénax ou sous Fébrilox, voire sous placebo, il passe sa vie entre une mère envahissante avec laquelle il n'arrive pas à couper le cordon ombilical et un travail qu'il idéalise complètement. Absurde, décalé, exaltant le second degré à l'extrême, ce nouveau héros est le prototype du flic beauf intègre et con. Parfait pour le service. Surtout que Delisle l'envoie se faire les dents sur une affaire de trafic d'essence qui n'a a priori rien de Starsky et Hutch. Pas d'action -ou très peu, mais d'excellents dialogues et un dessin clair, convenant parfaitement à l'esprit de la série. Bref, efficace, plaisant . Et déjà mûr.
Morphing Amer (Alvin Norge) par Thierry Bellefroid
« Morphing amer », le tome 2 de la série Alvin Norge, dans la collection Troisième Vague des éditions du Lombard.

Chris Lamquet est vraiment ce que l'on peut appeler un auteur à part entière. Et dans le domaine où il oeuvre, ils ne sont pas si nombreux. Là où la concurrence affiche souvent trois noms au générique (voire plus), lui additionne avec le même bonheur les rôles de scénariste, dialoguiste, concepteur d'univers et dessinateur. Voilà sans doute pourquoi Alvin Norge est si cohérent. Et pourquoi Lamquet a choisi de modifier son dessin en profondeur en abordant cette nouvelle série. Les lecteurs du premier album avaient pu apprécier un scénario charpenté, une voix-off bien écrite, un humour parfaitement dosé dans un album qui se voulait avant tout thriller réaliste, une connaissance parfaite de son sujet, un découpage d'une redoutable efficacité et des héros joliment taillés. Que dire d'autre pour ce deuxième album ? Pas de chute de régime, pas d'erreur de rythme, on est replongé dans l'univers de Norge dès la première page, sans pour autant avoir l'impression de lire une suite. Car la force de ce deuxième album est de commencer radicalement là où on ne l'attend pas, en feignant de refermer la parenthèse « Kimberley », objet du premier opus. Mais Lamquet sait que ses lecteurs attendent encore des réponses. Il les fait reculer pour mieux sauter et nous offre un nouveau récit haletant qui vient s'ajouter au précédent à la manière d'une pièce de puzzle. Bien malin qui pourrait deviner à ce stade où tout cela va nous mener. Mais on ne s'en plaindra pas. Ce n'est pas tous les jours qu'on lit des BD qui sont à la fois aussi intelligentes que divertissantes. De toute évidence : le fleuron de la collection Troisième Vague.
« Un misérable petit tas de secrets », une enquête de l'inspecteur Canardo. Par Sokal. Chez Casterman.

Ça y est ! Voilà que Canardo se prend pour Valérian. Sokal nous avait habitués à la comédie humaine en version animalière, au ton désabusé et décalé de « son » privé. Du polar avec des dialogues cinglants et des clopes au coin du bec, nous voilà passés au voyage spatio-temporel. Une machine à remonter le temps renvoie Canardo sur les traces d'un magot dérobé aux Allemands et qu'une brave fille craint de voir lui passer sous le nez cinquante ans plus tard, à l'heure du dernier souffle du détenteur de ce trésor : son père. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les lecteurs de la série vont avoir un peu de mal à se laisser entraîner sur un terrain aussi miné. D'une part, on cherche ce que cet épisode peut apporter à l'univers pourtant très cohérent d'un Canardo. De l'autre, on peut se demander ce qui n'a pas encore été écrit, dit, dessiné ou filmé dans le genre et qui mériterait que Sokal s'y attache. A la lecture de l'album, il faut reconnaître qu'il s'en tire plutôt bien. Dans un genre éculé, Benoît Sokal parvient à mettre des ingrédients personnels qui rendent la sauce buvable. Et il joue très bien avec le paradoxe temporel (même si c'est la énième variation sur ce thème qui deviendra bientôt aussi banal que l'amnésie chez les héros de BD). Mais on ne pourra pas refermer ce Canardo sans penser avec nostalgie à des épisodes comme « La marque de Raspoutine », « Noces de brume » ou « L'Amerzone ». Comme pour retourner le couteau dans la plaie, Casterman a eu la bonne idée d'offrir aux lecteurs une petite plaquette réunissant les femmes de Canardo. Pour souligner combien elles nous manquent dans cet album ?
Palooka - tome 1 (Palooka) par Thierry Bellefroid
« Palooka, tome 1 » par Fowler et Vanloffelt. Chez Paquet.

Il y a tout d'abord une nervosité pour ne pas dire une violence dans le dessin de Tom Fowler qui s'exprime au-delà des cases, jusque dans les dessins du port-folio. Le trait est épais, vif, coupant. Certaines pages sont très réussies, comme la scène de boxe des pages 20 à 24 (surtout les pages 20-21) ou comme celle du baiser (page 48). Il y a quelque chose de Baru dans tout ça, dans cette énergie libératrice, dans cette violence urbaine. Mais il y a aussi un scénario qui n'a l'air de rien au départ et se fait de plus en plus intéressant à mesure que l'on avance dans l'album. Le seul reproche qu'on lui fera peut-être est de justement traîner un peu avant de décoller vraiment, ou en tout cas, avant de justifier sa pleine originalité. Peut-être aurais-je préféré un album plus ramassé qui aille un peu plus loin et ne me laisse pas si frustré à la fin. Quoiqu'il en soit, Palooka est une histoire musclée qui ne laisse pas indifférent. On lui pardonne volontiers les quelques maladresses de style ou de dessin qui se laissent voir de-ci de-là.
Promethea - tome 1 (Promethea) par Thierry Bellefroid
« Prométhéa », tome 1, par Alan Moore et J.H. Williams III. Chez Semic.

Il n'est pas utile de rappeler qui est Alan Moore. Mais il est toujours étonnant de voir combien ce génial scénariste est capable de nous étonner. Moore a plusieurs visages. Il n'en montre qu'un à la fois, réservant aux lecteurs la surprise de ses métamorphoses à mesure qu'ils pénètrent ses autres univers. Avec Prométhéa, il explore un mythe littéraire et s'offre le luxe de faire exister des personnages différents sous la même identité. C'est que l'idée qui sous-tend cette série est particulièrement intéressante : Prométhéa se met à exister dès lors qu'on croit en son existence. Et ce postulat vaut aussi bien pour celles qui vont « devenir » Prométhéa à travers les âges que pour ceux avec qui elles vont être en interaction. Le résultat, c'est ce récit intelligent et original où Alan Moore joue sur la mise en abîme pour désorienter son lecteur et le forcer à adopter une lecture active. J.H. Willimas III arrive à donner cohérence et rythme à cet audacieux projet grâce à son trait énergique, mais aussi grâce à une mise en page dynamique, inventive, qui ne craint pas de recourir aux structures éclatées ou aux « enluminures » pour installer son propre code de langage.
Empanadas par Thierry Bellefroid
« Empanadas » par Damien Rocour. A La Cinquième Couche.

Difficile de donner une appréciation « objective » sur un travail aussi personnel. Damien Rocour a choisi de parler du Chili et il le fait à sa manière, en confrontant deux visions de la dictature. Celle de la jeune Alice, marquée par un documentaire montrant ce qu'a été le Chili sous Pinochet, d'une part. Celle de Mirta, de l'autre, c'est-à-dire la vision de l'intérieur, celle du souvenir. L'auteur confronte ces deux mondes pendant quelques pages, jouant sur le mélange des techniques, utilisant les pixels pour suggérer l'univers télévisuel d'Alice, jouant sur les traits fins de la plume et sur les métaphores pour retranscrire la conversation qu'elle a avec Mirta. La forme est originale même si elle est parfois difficile à suivre. Mais que penser du fond ? Tout cela paraît bien court. D'accord, le format ne permet guère d'aller au fond des choses. Mais on reste sur un sentiment de malaise, l'impression d'être devant une oeuvre inachevée ou un travail de fin d'études d'école graphique. Les quelques belles trouvailles ne suffisent pas à rendre l'ensemble vraiment solide. Et le recours à Gabriel Garcia Marquez n'y change rien. Reste une histoire sur la mémoire et sur une certaine vision du monde presque douce-amère qui se veut comme un témoignage artistique au milieu de la froideur « clinique » des médias.
« La colère d'Ahès », tome 1 de la série « Merlin », par Istin, Lambert et Stambeco. Chez Nucléa.

Il y a déjà le Merlin enfantin de Sfar et Munuera chez Dargaud et celui de Chauvel et Lereculey (rebaptisé « Myrddin » dans la série Arthur) chez Delcourt. Ca fait du monde sur le même sujet. Laissons de côté le Merlin des éditions Dargaud qui ne court pas vraiment sur les mêmes terres. Mais comment éviter la comparaison entre cet album et ceux de la série « Arthur » ? David Chauvel avait agréablement surpris avec cette version proche du mythe original, véritable retour aux sources de la légende. Difficile de faire mieux. Jean-Luc Istin a eu la bonne idée de s'éloigner suffisamment de Chauvel pour ne pas risquer la comparaison. Son « Merlin » est davantage un récit fantastique qu'une transcription fidèle de la légende. Le mythe sert de base, de fondations à l'intrigue. Mais c'est bien de la lutte entre le Bien et le Mal, de la quête du Graal qu'il s'agit dans cet album. A tel point que ce premier tome a des allures de « fourre-tout » fantastique qui prend ce qui l'intéresse un peu partout pour recomposer une histoire faisant la part belle aux événements surnaturels, aux dragons et à la colère du Diable. C'est parfois tellement loin du mythe en question qu'on en oublie qu'on est en train de lire l'histoire de Merlin, mais après tout, c'est peut-être ce que les auteurs pouvaient faire de mieux. Le dessin d'Eric Lambert gagnera à mûrir un peu, mais il est tout-à-fait à la hauteur des autres production du genre. Le problème est peut-être justement qu'il y en a beaucoup, des productions du genre. Et qu'il n'y pas forcément de place pour tout le monde. Ce « Merlin » arrivera-t-il à se faire son trou ?
Breiz Atao (Odilon Verjus) par Thierry Bellefroid
« Breiz Atao », le tome 5 de la série Odilon Verjus. Désormais dans la collection « Troisième Degré » des éditions du Lombard.

Troisième Degré est né... et ça ne changera pas la face de la terre. Avec cette collection, le Lombard complète son panel de « tiroirs étiquetés » où ranger ses auteurs et s'aligne définitivement sur des concurrents qui avaient tous -ou presque- leur collection d'humour (Humour Libre chez Dupuis, Humour de rire chez Delcourt, Poisson Pilote chez Dargaud, etc...). Pourquoi pas ? D'autant que cette collection devrait permettre à certains albums de connaître une meilleure visibilité (c'est d'ailleurs clairement le but puisque chacun sait qu'une collection, ça intéresse à peu près autant le lecteur que de connaître le nom d'un directeur éditorial...) et aux libraires de s'y retrouver un peu mieux dans le catalogue. A la manière de Troisième Vague (qui en termes de marketing est une réussite totale, il faut l'admettre), le Lombard n'a pas pris beaucoup de risques. La recette avait bien fonctionné, on remet donc le couvert et on crée du neuf... avec du vieux. Trois titres pour démarrer la collection : un vraie nouveauté (Space Mounties), une vraie fausse nouvelle série (Lait Entier, qui n'est autre que « La Vache » de Desberg et De Moor émigrée de la rue Royale (Casterman) à l'avenue Paul Henri Spaak (Lombard) en changeant de nom de série) et le jusqu'ici inclassable Odilon Verjus de Yann et Verron. Force est de constater que le meilleur des trois est bel et bien le Verjus. Notre Vache a connu de meilleurs épisodes (principalement le précédent, dernier opus livré à Casterman, qui était un monument de drôlerie, de fraîcheur et de second degré servi par un dessin des plus brillants, ce qui est toujours le cas mais qui se voit moins dans ce récit plus urbain). Space Mounties est relativement dénué d'intérêt : une paire de flics oisifs tente tant bien que mal de faire rire le lecteur avec une aventure qui se termine à la planche 33 sans jamais avoir commencé. Et enfin, Odilon Verjus, album sans doute le plus réussi depuis les débuts de la série, un vrai bonheur tout en finesse servi par un dessin énergique qui a trouvé sa personnalité propre quelque part entre Franquin, Walthéry et Roba. Il y a quelque chose d'Astérix dans ce Verjus et ça ne tient pas seulement au fait qu'il se déroule en Bretagne. Yann fait flèche de tout bois, comme à l'accoutumée. Avec talent, il mêle l'humour, l'érudition, l'histoire et les clichés. Le contexte de cette aventure chez les nationalistes bretons est parfaitement exploité. Les personnages secondaires sont truculents. Le rythme est constant. Bref, c'est du tout bon.
Résurrection (Razoredge) par Thierry Bellefroid
« Résurrection », le tome 1 de Razoredge, par Vincent Fourneuf, chez Pointe Noire.

Vous aimez les gros biscottos ? La castagne en BD ? Les femmes aux allures de championnes de body building ? Alors, vous aimerez certainement cette série qui marche sur les plates-bandes de la BD américaine. Un scénario qui n'empêche pas de dormir mais de l'action à toutes les pages, c'est ce que nous propose Vincent Fourneuf dans ce premier tome des aventures de Chris Slade, alias Razoredge. Slade, c'est son nom humain, Razoredge, celui de loup-garou qu'il tente d'oublier. Exilé parmi les humains, les vrais, après le meurtre de sa compagne, Razoredge-Slade est très vite rattrapé par son passé... et par ses frères de race dont les plus pourris ont eux aussi quitté leur royaume pour régner en maîtres sur la ville, une sorte de New York revisitée. La psychologie des personnages est aussi épaisse que leur écorce, on s'envoie des bateaux à la gueule et on arrache les conduites de gaz avec le petit doigt, bref, rien que de la dentelle... d'acier ! Un récit violent parmi d'autres...
« Un justicier dans l'ennui », le tome -98 de la série Donjon Potron Minet, par Sfar, Trondheim et Blain . Chez Delcourt.

La multinationale Donjon ne devrait pas tarder à être cotée en bourse. Il faut dire que Sfar et Trondheim y sont au moins aussi prolifiques que dans leurs activités parallèles. Les nouveautés se suivent au rythme d'une par mois, c'est dire si les idées sont là ! Encore faut-il les traduire sur le papier. L'apport de nouveaux dessinateurs devient donc une nécessité. Blain et Larcenet seront bientôt rejoints par Mazan et Jean-Christophe Menu. Qu'on ne s'y trompe pas : toutes ces signatures ne rejoignent pas la multinationale Donjon pour se faire leur pécule de vacances mais parce qu'on s'y amuse. Et parce que ces dessinateurs font partie de cette « nouvelle » génération issue de L'Asso et consorts pour qui le talent se combine aussi avec le partage. Le paysage BD est en train de changer sous leur influence. Un peu partout essaiment leurs projets communs. A L'Association, bien sûr, mais aussi chez Dargaud, Dupuis ou ici, chez Delcourt. Ces « gens » aiment travailler les uns avec les autres et ça se sent ! La preuve, les deux Potron Minet dessinés par Christophe Blain sont parmi les meilleurs albums des séries Donjon. Après une excellente « mise en bouche » (La chemise de la Nuit, ndlr), ce deuxième Potron Minet nous emmène dans un monde d'une insoupçonnable poésie médiévale. On réinvente à la fois « Donjon et Dragon » (mais ça, c'est la marque de fabrique de tous les albums Donjon), les histoires de justicier masqué, celles de cape et d'épée, les amours romantiques aussi. Tout ça avec un humour omniprésent, une totale envie de ne pas se prendre au sérieux et un imaginaire débordant. Hyacinthe de Cavallère, dit « La chemise de la Nuit » est sans doute l'un des héros les plus attendrissants du Donjon. Et Blain lui donne vie avec un évident plaisir. Pour le nôtre !
« Des hommes à genoux », tome 1 de Little Big Joe, par Lupano et Campoy (mise en couleur par Scarlett). Chez Delcourt.

La parodie de western dans toute sa splendeur. Pour qui n'a pas lu Lucky Luke dans sa jeunesse, cet album peut encore faire illusion. Les autres se souviendront d'un petit shérif bigleux que sa boîte de pilules sauvait de la mort. Little Big Joe lui ressemble. Beaucoup. Un peu trop à mon goût. Non pas que je soupçonne les auteurs de plagiat. Mais qu'ils me semblent proposer le quarante-troisième anti-héros du genre. Little Big Joe ne renouvelle rien, bien au contraire, il enfonce quelques portes ouvertes. On a l'impression que Lupano a « emprunté » le running gag du docteur coureur de jupons à Alexis ou à Gotlib, on sait dès la deuxième page que son héros, pour ridicule qu'il est, parviendra bel et bien à terrasser le « méchant » de service. Aucun suspense, aucune surprise, même le pasteur alcoolique ne surprend personne. Le sympathique dessin de Campoy ne sauve pas l'entreprise à mes yeux. Attention, je ne dis pas qu'il s'agit d'un mauvais album. Mais que son arrivée sur un marché déjà saturé en la matière le rend très dispensable. Cotton Kid lui est de loin préférable.
Le roi de la piste par Thierry Bellefroid
« Le roi de la piste » par Nicolas de Crécy. Chez PMJ Jeunesse.

Qu'est-ce qu'il nous manque, Nicolas de Crécy ! A croire que le succès du reste de la famille dans le domaine de la musique et de la vidéo doit nous faire oublier qu'il néglige la BD. A voir les quelques dessins de ce magnifique livre pour enfants, on salive rien qu'à l'idée d'un prochain album ! « Le roi de la piste » est presque une leçon de dessin. Et de couleurs. Le format italien de ce livre est un écrin idéal pour des images magnifiques servant de support à la sympathique histoire de Monsieur Coin, le skieur le plus rapide et le plus kamikaze des Alpes. Une histoire que les enfants apprécieront et que les adultes se plairont à leur lire. Les dessins -et c'est la force de Nicolas- conviendront aussi bien aux premiers qu'aux seconds. Car ils ont à la fois la lisibilité et la simplicité nécessaires pour plaire aux plus jeunes et l'éclat qui ravira les vrais amateurs de dessin.
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